Frayère à brochet

Le brochet est un poisson apprécié des pêcheurs à la ligne pour son agressivité et ses combats explosifs. Depuis quelques décennies déjà, cette espèce voit ses populations déclinées. Parmi les causes expliquant la diminution de ces populations, il y a entre autre la diminution des surfaces favorables à sa reproduction (les frayères). Mais qu'elles sont les caractéristiques essentielles que doit garantir une bonne frayère à brochet en rivière?.

Avant de décrire plus dans le détail, les caractéristiques d'une bonne frayère à brochet en rivière, il peut-être intéressant de revenir sur le statut particulier du brochet.

 

Si pendant longtemps, l'espèce a fait l'objet de nombreuses fabulations (capable de vivre plusieurs centaine d'années, vorace sans limite...), il est aujourd'hui considéré par la majorité comme un poisson des espaces aquatiques préservés présentant une forte valeur patrimoniale et halieutique (intérêt pour la pêche).

On parle dans le "petit monde" de la gestion piscicole et des écosystèmes aquatiques d'espèce repère. En effet ce poisson présente une valeur économique et sociale d'intérêt puisqu'il est très recherché par les pêcheurs à la ligne. Mais il présente aussi une valeur écologique forte.

 

Sa présence en densité dans un cours d'eau fait certes le bonheur des pêcheurs, mais c'est aussi le reflet d'un habitat préservé ; d'un cours d'eau dont les fonctionnements écologiques n'ont pas encore été trop ou totalement dégradés et artificialisés.

 

 

 

Pour réaliser l'intégralité de son cycle écologique (qu'on peut résumer de la sorte : croissance, reproduction, éclosion) et s'implanter en densité dans un milieu aquatique donné, le brochet a des exigences "spatiales" fortes. Selon son stade de développement, il est amené à occuper une série d'habitat aquatique.

Pour simplifier on peut décomposer ces habitats de la sorte :

  • le chenal (surtout à l'âge adulte),
  • les zones rivulaires (surtout au stade juvénile si présence de végétation),
  • le systèmes latéraux et les zone inondables (pour sa reproduction, le développement des oeufs, l'éclosion, et la croissances jeunes alevins).

L'altération ou l'absence d'un de ces compartiments explique souvent pourquoi l'espèce se trouve en difficulté (faible densité).

Bras mort de Loire

 

 

On explique pour beaucoup la raréfaction de l'espèce brochet par la destruction de ses zones de fraie. Ce pourquoi les pêcheurs et les gestionnaires de la pêche associative réclament et souhaitent entreprendre des opération de restauration ou de création de frayères à brochet. On pense parfois que la clé du problème réside spécifiquement dans l'impossibilité des brochets à se reproduire (faute de frayère).

C'est en partie vrai, mais attention aux raccourcis. En effet, la présence de frayère est importante mais il est tout aussi important que la rivière présente des caractéristiques d'habitats particulières. Elle doit être colonisée par la végétation aquatique pour permettre la croissance des brochets et l'implantation d'un grand nombre d'individus. La végétation aquatique présente en zone de chenal ou en zone rivulaire est l'élément essentiel de l'équilibre et de la stabilité des populations de brochets.

Pour un développement optimal de l'espèce brochet, le milieu doit pouvoir garantir 60% de recouvrement en végétation aquatique en période estival. Bien souvent nous en sommes très loin et peu de brochetons atteignent l'âge adulte. Dans ce cas, travailler sur la seule reproduction du brochet, sans avoir pu régler les problèmes d'habitat de croissance, ne permettra jamais de reconstituer un stock intéressant de brochet au sein d'un écosystème aquatique. Certes les quelques géniteurs présents dans le milieu viendront se reproduire, mais une grande partie du frai n'atteindra jamais l'âge adulte faute d'habitat favorable à la croissance. La casse pourra même être très importante et les pêcheurs se demanderont pourquoi (malgré les aménagements), ils ne prennent pas plus de brochets de taille.

Indépendamment de la qualité de la reproduction, la capacité d'accueil du milieu (qualité des habitats) décidera donc du nombre de poissons présents dans la rivière.

Parfois, il faut donc pouvoir travailler conjointement sur différents compartiments de l'écosystème aquatiques. C'est bien là toute la difficulté.

 

 

 

reproduction du brochet en frayère en hiverPour en revenir à la reproduction et au sujet des frayères à brochet, il faut savoir que ce poisson se reproduit pendant les mois de février et mars pour des températures supérieures à 7 et 8°C.

 

L’espèce profite des crues de fin d’hiver et de début de printemps pour frayer sur des zones de végétations terrestres qu’il peut retrouver dans les prairies inondées, les landes submergées, les marécages connexes, les fossés, les petits ruisseaux, les zones rivulaires ennoyées peu profondes et ce qu’on appelle les systèmes latéraux (bras mort, méandre connecté, lit secondaire végétalisé).

 

Au premier plan une végétation composée de graminée et d'iris : de bons supports de ponte pour le brochet

Bras morts de loire en période estivale

 

Il existe de nombreuses façons de classer et hiérarchiser tous les milieux décrits précédemment. Mais l’essentiel à retenir est que le brochet recherche majoritairement en rivière des zones de végétation terrestre submergées. Ce pourquoi il profite des coups d'eau pour accéder à ses zones de ponte.

Pour sa reproduction, le chenal n’intéresse pas cette espèce. Il faut dire que c’est une espèce phytophile typique. Cela sous-entend qu’elle dépose ses œufs sur de la végétation. Or au mois de février et mars, avec le froid bien installé, il reste bien souvent peu de végétation aquatique. Voilà en autre pourquoi l’espèce migre à la recherche de zone de végétation terrestre submergée par les crues. On parle d’ailleurs de migration transversale (du chenal vers les milieux annexes de la plaine alluviale).

Une fois ces particularités énoncées, on peut décrire les caractéristiques essentielles d'un bon site de reproduction pour le brochet comme il suit.

 

une frayère à brochet doit garder l'eau Le site doit garantir une connexion plus ou moins large avec le cours d'eau. Cette connexion constitue une zone d'appel au début de la migration (effluve de marais) et une réserve d'eau calme.

Il est important que le niveau topographique du site de reproduction et de sa connexion avec la rivière ne soit pas trop haut perché par rapport au niveau d’étiage (débit estival) du cours d'eau. En effet il faut d'une part que le site puisse être connecté régulièrement, mais d'autre part que le site puisse se ressuyer et s’assécher complètement ou partiellement en été afin de permettre un renouvellement de la végétation terrestre. Un site qui se connecte pour un débit légèrement supérieur au débit moyen de la rivière est tout à fait intéressant. Ainsi il se connectera en hiver et au printemps lors des périodes humides et se déconnectera et se ressuiera en période sèche.

Zone de frayère à brochet en période estival ; un assec très important qui permet le développement d'une végétation terrestre dense : autant de bons supports de reproduction au printemps prochain lors des crues.

 

une frayère à brochet est peu profonde Le site doit être peu profond (lame d’eau de 0.2 à 1m) et suffisamment ensoleillé pour assurer un réchauffement de l’eau nécessaire au développement des embryons puis des jeunes alevins mais aussi du plancton (phytoplancton puis zooplancton nécessaires aux premières phases d’alimentation).

Un site peu profond et végétalisé qui offre de nombreux support de ponte aux brochets

 

une frayère à brochet présente beaucoup de végétation support de ponte Le site doit offrir des supports végétaux aux œufs adhésifs, puis aux pro-larves. Si la présence de végétation semble indispensable pour sa reproduction, le brochet fait preuve d’un certain opportunisme dans le choix du substrat. Comme déjà évoqué, il recherche de préférence :

  • une végétation terrestre submergée de type graminoïde,
  • ou une végétation de type hélophytique (qui se développe les pieds dans l’eau et l’humidité) ,
  • ou de type hydrophytique (qui se développe totalement dans l’eau pour les espèces résistantes au froid).

On peut ainsi citer les phragmites, les carex, les joncs, les iris, les presles, les menthes, les élodées, les myriophyles…

Une végétation dense et drue de type hélophyte

 

nourriture pour le jeune brochet Le site doit offrir des ressources alimentaires en quantité et qualité suffisante.

 

des abris et caches pour les brochets juvéniles Le site doit apporter des abris (végétation) pour la protection des juvéniles (prédateur cannibalisme).

 

la frayère doit garder l'eau Le site doit permettre un maintien des eaux continu pendant 45 jours minimum (en février, mars, avril) pour couvrir l’essentiel de la période de reproduction de ponte et de développement des embryons puis des pro larves.

Le site doit assurer un maintien de la continuité hydraulique avec le milieu principal (connecté avec la rivière) en mai-juin pour permettre la migration des jeunes vers la rivière.

 

Pour résumer, un site peut-être jugé fonctionnel, s’il offre une surface végétalisée submergée (0.2 à 1 m d’eau) pendant au minimum 45 jours consécutifs avec une possibilité de retour des alevins dès le début du mois de mai à la rivière.

 

 

On comprend aisément que de telles exigences ne permettent pas l’efficacité de reproduction chaque année. Mais lorsque cela fonctionne, une bonne reproduction permet de « remplir » la capacité d’accueil d’un milieu pour plusieurs années. Reste à déterminer jusqu'où la capacité d'accueil permet d'accueillir des brochets. En d'autre terme, si la rivière présente un habitat favorable aux développement d'un maximum de juvéniles jusqu'à l'âge de maturité (2 ans pour les mâles et 3 ans pour les femelles).

 

Mais il est toujours intéressant de restaurer des frayères à brochets. Si ces sites favorisent la reproduction du brochet ils remplissent aussi bien d'autres rôles :

  • zone refuge pour les poissons en période de forte crue,
  • zone de nurserie et d'alimentation en période printanière pour un grand nombre d'espèces piscicoles,
  • zone de diversité écologique,
  • zone d'expansion des eaux en période de crue
  • zone d'auto-épuration des eaux...

 

 



 Rem