Silure du Doubs

Récemment sur ce blog, suite aux canicules de l'été 2019, j'écrivais un article sur la hausse des températures des cours d'eau de mon département, la Saône-et-Loire : Canicules 2019, ça "chauffe" dans les rivières! Après avoir présenté pour quelques rivières les températures observées lors de l'été dernier, il m'est apparu intéressant d'évoquer jusqu'à quel point ces températures ont pu être profitables ou problématiques pour nos chères espèces de poissons carnassiers.

Pour évoquer le sujet, j'ai volontairement choisi de parler d'un cas concret, pour lequel je dispose de données de température. Il s'agit du cas de la rivière Seille (rivière du Jura et de la Saône-et-Loire). Pour beaucoup, cette rivière n'évoquera peut-être pas grand chose, mais l'article peut être pris comme un exemple général pour des rivières dont la température des eaux est souvent excessive en période estivale. 

J'ai aussi limité à quatre espèces : le brochet, le sandre, la perche et le silure. Je n'ai pas choisi le black-bass manquant d'information et considérant que son implantation en rivière étant encore globalement incertaine par chez nous (Nord de la Loire).

Comme évoqué dans le précédent article (Canicules 2019, ça "chauffe" dans les rivières!), la Seille a connu des hausses de températures tout à fait remarquables lors de l'été 2019. Du 21 juin au 10 août les températures sont rarement descendues en dessous des 24°C. Très fréquemment les températures ont été comprises entre 26 et 29°C et la barre des 30°C a même été franchie.

Pour détailler, les préférences thermiques des espèces citées précédemment différents ouvrages et publication ont été utilisés en référence :

  • Les Poissons d'eau douce de France - Philippe Keith, Henri Persat, Eric Feunteun et Jean Allardi.  2011.
  • Biologie des poissons d'eau douce européens. 2ème édition. Jacques Bruslé - Jean Pierre Quignard.
  • Synthèse des tolérances thermiques des principales espèces de poissons des rivières et fleuves de plaine de l'ouest européen. L.Tissot et Y.Souchon.

 

Concernant les températures, il n'est pas présenté dans l'article la gamme de température totale dans laquelle peut vivre une espèce. Il n'est pas non plus évoqué les températures de reproduction. Dans l'article, seule la gamme des températures optimales et la gamme de résistance aux températures trop chaudes sont évoquées.

Aussi il n'est évoqué que les stades juvéniles et adultes des poissons. Les stades embryon et larve ont volontairement été mis de côté pour ne pas surcharger le texte. Cependant pour ceux qui pourraient souhaiter plus d'informations, en annexe de l'article,  la publication sur la synthèse des tolérances thermiques des principales espèces de poissons des rivières et fleuve de plaine de l'ouest européen est accessible en lien. Vous y trouverez en page 43, 45, 46 et 47 des tableaux et des figures détaillés. Pour accédez à la publication, il suffit de cliquer ici www.sioux-fishing.fr/poisson/synth_tolerance_thermique_poisson_riviere_ouest_europe.pdf.

 

Avant de rentrer dans le détail, il convient de préciser ce qu'on appelle "gamme de températures optimales" et "gamme de résistance à la température ou zone de résistance.

 Gamme de température optimale (selon les travaux de Tissot et Souchon) :

"Dans la gamme de températures optimales, le poisson se nourrit et ne présente aucun signe de comportement anormal, il n'est pas en état de stress (Elliot, 1981). Dans cette gamme de température, des régulations physiologiques interviennent efficacement pour permettre aux poissons de supporter les températures relativement élevées...

 Gamme de résistance à la température (selon les travaux de Tissot et Souchon) :

"Lors des épisodes de stress thermique, les mécanismes physiologiques de protections sont débordés par la rapidité d'apparition des effets , le poisson peut toutefois "résister" un certain temps sans subir de graves dommages ou avec un taux de survie élevé. Cette gamme de températures dans laquelle, le poisson subit le stress thermique est appelée "zone de résistance."

 

"A l'intérieur de  la zone de résistance existe une zone de tolérance dans laquelle le comportement de stress ne se manifeste pas et où la survie du poisson est théoriquement assurée. Dans cette zone, le poissons survit au choc thermique mais ses fonctions physiologiques (alimentation, respiration, croissance) peuvent être affectées. La tolérance thermique n'a de ce fait de sens qu'a court terme (un jour à quelques jours maximum).

 

Voyons maintenant dans le détail ce qui s'est passé sur la Seille cet été 2019.

 

Un été difficile pour les brochets de la Seille Un été 2019 difficile pour les brochets de Seille

Un brochet

 Le brochet est une espèce assez sensible à la hausse des températures des eaux. La gamme optimale de développement pour le brochet adulte est comprise entre 10 et 24°C. Au delà de 24°C et jusqu'à 31°C, le brochet est alors en phase de résistance. Pour des températures supérieures à 31°C, où des exposition trop longue dans la zone de résistance, la situation devient très critique pour l'espèce avec des risques de mortalités si elle ne parvient pas à fuir et trouver des zones refuges d'eau plus fraîches (migration thermique). Pour le juvénile de brochet, la gamme optimale de développement est encore plus réduite puisqu'elle est comprise entre 19 et 21°C.

 

L'observation de la figure met très clairement en évidence des températures trop excessives sur la Seille lors de l'été 2019. Du 24 juin au 11 août 2019, la température instantanée a quasiment toujours été supérieure à 24°C. A moins de trouver quelques zones refuges plus fraîches, les individus de brochet ont connu une longue période de stress thermique (49 jours). L'année 2019 a certes été assez exceptionnelle, mais la Seille n'est certainement pas la rivière idéale pour le brochet : ses eaux sont troubles et chaudes en été, la végétation est peu présente en dehors de quelques zones étroites de berges et les frayères sont rares.

 

Des températures assez favorables au sandre Des températures assez favorables au sandre

 Le sandre survie dans une très large gamme de température, mais sa gamme optimale de développement est située entre 27 et 30°C. C'est très clairement une espèce d'eau chaude contrairement au brochet. La zone de résistance pour le sandre est comprise entre 30 et 35°C. Dans nos régions, le dépassement des 30 à 35°C en rivière est encore très peu fréquent voir nul (35°C). L'espèce n'est donc pas très menacée par le réchauffement climatique.

 

Finalement l'été très chaud que nous avons connu en 2019 a certainement été même plus favorable à l'espèce que bien d'autres étés précédents. Ce n'est pas souvent que l'eau de la Seille dépasse les 27°C. Cela a été le cas cette année a deux reprises.

Le sandre

Crédit photo : Julien Corjet

  Un été 2019 plutôt profitable au silure Un été 2019 plutôt profitable au silure

Le silure peut-être considéré comme une espèce d'eau chaude. On le retrouve dans les pays où la température des eaux est comprise en juillet entre 16°C (Suède) et 26°C. Son développement est maximum quand la température de l'eau est comprise entre 25 et 27°C et il faut 2 à 3 mois au dessus de 20°C pour garantir le succès de sa reproduction.

Le silure

 La zone de résistance de l'espèce est située entre 28°C et 32°C. Au delà, la survie des poissons peut être engagée.

Lors de cet été 2019, les silures ont vécu en Seille des périodes tout à fait favorables à leur développement.  Néanmoins lors des deux pics de canicule (fin juin et fin juillet 2019), les poissons ont subi de courtes périodes de stress thermique (Cf. figure ci dessus).  

 

 Un été 2019 plutôt profitable au silure Un été 2019 acceptable pour la perche excepté lors des deux pics de canicule Un été 2019 acceptable pour la perche, excepté lors des deux pics de canicule

  La gamme de développement optimal pour la perche est comprise entre 16 et 27°C. Lors de l'été 2019, les températures de l'eau de la Seille ont été plutôt favorables aux exigences physiologiques de la perche. Mais comme pour le silure, les deux pics de canicule ont contraint la perche à une phase de stress thermique. La perche étant légèrement plus sensible à la hausse des températures que le silure, l'espèce a pu connaître une période de stress légèrement plus intense.

 

 

 La température de l'eau et ses effets sur la biologie des poissons est un sujet passionnant. 

Les poissons ne disposent pas comme nous de la climatisation et du chauffage, ils sont de plus des animaux à sang froid, la température peut conditionner grandement leur confort de vie, leur croissance, mais aussi la réussite de leur reproduction. La présence d'une espèce dans un cours d'eau dépend étroitement du régime thermique de ce dernier.

Le réchauffement climatique actuel a déjà des incidences sur la répartition de nos espèces de poissons favoris et sur leurs abondances. Il en aura peut-être encore plus à l'avenir. Ceci conditionnera bien sur nos pêches futures et il faudra peut-être privilégier les espèces les plus robustes.

 


 Rem